Licenciements chez Virtuos: 300 postes supprimés malgré Oblivion Remastered

AuteurArticle écrit par Vivien Reumont
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date de publication17/07/2025
En quelques mots Le cas Virtuos illustre avec une acuité frappante les tensions qui traversent l’industrie du jeu vidéo en 2025 : d’un côté, des succès techniques et commerciaux notables comme Oblivion Remastered ou Metal Gear Solid Delta, de l’autre, des décisions managériales marquées par la réduction des coûts, la centralisation des projets et l’optimisation à outrance.  La vague de licenciements – près de 300 employés – est d’autant plus choquante qu’elle touche des équipes qui ont contribué directement à ces succès. En France, la réponse est claire : grèves, colère, et mobilisation. Dans le reste du monde, c’est une lassitude sourde qui s’installe, nourrie par le sentiment que même la réussite n’offre plus de garantie.  La montée en puissance de l’IA générative n’est pas anodine non plus. Elle traduit une volonté de transformer le modèle de production, de rendre les équipes plus “flexibles”, mais aussi plus interchangeables. Ce glissement technologique, s’il peut séduire sur le papier, interroge sur la place de l’humain dans les futurs pipelines créatifs.  Virtuos n’est pas le premier studio à licencier massivement malgré ses réussites, et ne sera sans doute pas le dernier. Mais son cas, emblématique, rappelle que le succès ne suffit plus : dans une industrie en mutation, c’est la stratégie de long terme qui déterminera la survie — ou non — des talents derrière les jeux.

Le paradoxe est saisissant. Alors que The Elder Scrolls IV: Oblivion Remastered connaît un accueil enthousiaste et que le studio s'illustre également dans le développement du très attendu Metal Gear Solid Delta: Snake Eater, Virtuos annonce une vague de licenciements d’envergure. Environ 7 % de ses effectifs mondiaux, soit près de 300 employés, vont perdre leur emploi dans les semaines à venir. Ce mouvement touche des antennes réparties entre les États-Unis, l’Europe, l’Asie, et les trois divisions françaises du studio.

Une décision qui surprend d’autant plus que Virtuos, jusqu’ici reconnu comme un acteur essentiel du soutien au développement et aux portages dans l’industrie vidéoludique, semblait connaître une ascension solide. Mais derrière les paillettes des remasters prestigieux et des contrats avec les plus grands éditeurs se cachent des tensions structurelles profondes. L’entreprise opère un revirement stratégique majeur, se réorientant vers des projets plus ambitieux... quitte à rogner sur ses ressources humaines.

Entre grèves en France, accusations de gel de salaires et recours croissant à l’intelligence artificielle générative, cette décision semble révéler une transformation plus profonde de l’industrie, où la rentabilité immédiate pèse désormais plus lourd que les réussites créatives.

 

Chiffres clés et zones touchées

300 salariés. C’est le chiffre annoncé par plusieurs sources proches de Virtuos, représentant environ 7 % des effectifs mondiaux de l’entreprise. Ce n’est pas un petit ajustement, mais bien une vague de licenciements à l’échelle industrielle qui s’abat sur le studio. Et cette réduction de personnel ne se limite pas à une seule région: elle touche l’Amérique du Nord, l’Europe, l’Asie, et notamment la France, où les trois antennes sont concernées.

Selon le journaliste Gauthier ‘Gautoz’ Andres sur Bluesky, la Chine serait la plus durement touchée, avec environ 200 départs dans les filiales locales. Le reste des licenciements est réparti entre les autres bureaux du groupe, y compris à Lyon, Paris et Montpellier. Cela laisse supposer une volonté de réorganisation globale et non simplement une réduction localisée.

Cette décision semble ainsi découler d’une réévaluation des priorités stratégiques à l’échelle internationale. Les sites français, qui ont pourtant joué un rôle clé dans le développement d’Oblivion Remastered, ne sont pas épargnés. À Lyon, notamment, cette décision a déclenché une grève ouverte, signe que l’impact social de cette vague dépasse le simple cadre de la restructuration économique.

En interne, le moral est au plus bas. Un employé aurait même qualifié l’ambiance de “glaciale”, tandis qu’un autre a confié que ces licenciements n’ont été annoncés qu’après la livraison de projets clés, renforçant le sentiment de trahison. L’idée de “compétitivité” semble, ici, avoir un goût amer.

 

Causes avancées par la direction

Face à cette vague de licenciements, Virtuos justifie sa décision par une volonté de “rester compétitif” dans un marché tendu, selon les déclarations officielles. En d’autres termes, l’entreprise cherche à adapter sa structure à une industrie du jeu vidéo de plus en plus polarisée entre blockbusters AAA et productions indépendantes ultra-optimisées.

Mais cette explication cache une réorganisation plus profonde. Virtuos n’est plus simplement un studio de support technique ou de portage. Son ambition est désormais de devenir un acteur créatif à part entière, capable de signer des remasters premium comme Oblivion Remastered ou de co-développer des titres majeurs à l’image de Metal Gear Solid Delta: Snake Eater. Cette montée en gamme impose une sélection drastique des projets — et, semble-t-il, une réduction de la masse salariale.

En interne, les bonus et augmentations ont été gelés depuis plusieurs mois, en particulier depuis février 2025, selon des sources relayées par ActuGaming. Cette mesure aurait précédé les licenciements, accentuant les tensions parmi les employés. Plusieurs collaborateurs dénoncent un “effort imposé unilatéralement”, avec un discours qui glorifie les grands projets, mais oublie ceux qui les réalisent.

“On nous parle de compétitivité, mais on ignore les conditions dans lesquelles on produit ces jeux ambitieux.” — Développeur anonyme chez Virtuos

Dans ce contexte, il devient difficile de ne pas y voir une transition brutale vers un modèle à haute rentabilité, où seuls les projets jugés “stratégiques” bénéficient d’investissements humains et financiers. Une logique qui semble se répandre dans l’industrie, mais qui laisse sur le carreau de nombreux talents.

 

Le cas spécifiques des studios français

Parmi les régions affectées par la restructuration, la France occupe une place particulièrement sensible. Les trois divisions françaises de Virtuos — Lyon, Paris et Montpellier — sont toutes concernées par les licenciements, avec un impact qui dépasse la simple réorganisation de personnel. À Lyon, une grève ouverte a été déclenchée par les salariés, bien décidés à défendre leurs conditions de travail et à alerter sur l’évolution de la stratégie de l’entreprise.

Selon les témoignages recueillis, la situation a rapidement basculé après la livraison d’Oblivion Remastered. Malgré l'importance stratégique du studio lyonnais dans le projet, les remerciements ont été remplacés par des annonces de licenciements, sans concertation préalable. Une démarche vécue comme une trahison, d’autant plus que les employés avaient accepté un gel des primes et des augmentations, dans l’espoir d’un retour à meilleure fortune.

Les syndicats locaux ont pris la parole pour dénoncer une logique de “gestion court-termiste”, qui sacrifie les compétences et l’expérience au nom de la rentabilité. La grève actuelle vise à “protéger les capacités d’action future de l’antenne lyonnaise”, soulignant le rôle clé qu’elle joue dans la production des projets premium de Virtuos.

“Cette restructuration menace non seulement les emplois, mais aussi notre capacité à continuer à produire des jeux ambitieux en France.” — Déclaration du comité de grève de Virtuos Lyon

En parallèle, des voix s’élèvent dans le reste du pays pour demander plus de transparence sur les choix stratégiques de l’entreprise. La crainte grandit que cette restructuration ne soit que le début d’un mouvement plus large, visant à centraliser les projets autour de pôles plus “rentables”, potentiellement hors d’Europe.

 

Travail sur Oblivion: succès, mais sans royalties

Ironie cruelle: The Elder Scrolls IV: Oblivion Remastered représente l’un des projets les plus ambitieux et salués de Virtuos… et pourtant, il s’accompagne d’un traitement interne qui laisse un goût amer chez les développeurs. Construit avec Unreal Engine 5, et développé en collaboration avec Bethesda, le remaster a su séduire la critique pour la qualité de ses améliorations graphiques et techniques, tout en ravivant la nostalgie des fans de la franchise.

Mais derrière cette réussite se cache une réalité bien plus tendue. Selon plusieurs sources internes, les employés ayant rejoint le projet ne percevaient aucune royalties, malgré la portée internationale du jeu. En clair: un contrat à honoraires fixes (flat fee), sans partage des bénéfices générés par les ventes du remaster. Pour un jeu aussi attendu et porteur, la pilule est difficile à avaler.

À cela s’ajoute une intensification de la charge de travail dans les dernières phases de développement. Les studios français, en particulier à Paris et Lyon, auraient assuré la majorité des tâches d’optimisation et de finition, dans des délais très serrés. Un employé rapporte que “les heures supplémentaires se sont multipliées dès l’automne 2024, sans compensation équivalente”.

“On a donné tout ce qu’on avait pour que le jeu sorte dans les temps. Le résultat est là, mais l’entreprise nous traite comme si on était remplaçables.” — Membre de l’équipe Oblivion

Le succès du remaster n’a donc pas suffi à garantir la stabilité de l’équipe. Cette logique, de plus en plus fréquente dans l’industrie, pousse certains à remettre en question la valeur réelle accordée au travail créatif, en dehors des seuls résultats commerciaux. Une stratégie à double tranchant, où la qualité ne garantit plus la reconnaissance.

 

L’IA générative comme nouvelle priorité

Alors que Virtuos réduit son personnel, une autre dynamique se renforce en coulisses: l’adoption massive d’outils basés sur l’intelligence artificielle générative. Ce virage technologique, amorcé timidement il y a un an, a pris une ampleur inédite en interne. Un développeur resté anonyme confie que l’entreprise est passée “de simples présentations au niveau du groupe à des formations de base obligatoires pour tous les salarié·es” en moins de douze mois.

Cette accélération trahit une volonté claire: automatiser certaines tâches pour améliorer la productivité, et potentiellement réduire les coûts de main-d’œuvre. Scripting, prototypage visuel, génération de textures ou de dialogues: de nombreux domaines du développement sont concernés. Dans une industrie où le time-to-market devient un facteur décisif, ces outils promettent des gains de temps significatifs… mais à quel prix humain ?

Certains employés dénoncent une instrumentalisation de l’IA comme outil de rationalisation: à défaut d’investir dans la formation ou l’extension des équipes, Virtuos miserait sur ces technologies pour maintenir la cadence de production, malgré les départs massifs. Une approche qui suscite autant d’inquiétudes que de fascination au sein du studio.

“On nous forme à des outils qu’on n’a pas choisis, sans savoir ce que ça implique vraiment pour notre avenir ici.” — Employé de Virtuos, sous couvert d’anonymat

Le recours croissant à l’IA générative apparaît ainsi comme l’un des piliers du “revirement stratégique” évoqué par la direction. Si certains y voient une évolution logique, d’autres y perçoivent une volonté de remplacer des compétences humaines par des solutions technologiques plus malléables et moins coûteuses. Une dynamique lourde de conséquences dans un secteur déjà sous tension.

 


En quelques mots

Le cas Virtuos illustre avec une acuité frappante les tensions qui traversent l’industrie du jeu vidéo en 2025: d’un côté, des succès techniques et commerciaux notables comme Oblivion Remastered ou Metal Gear Solid Delta, de l’autre, des décisions managériales marquées par la réduction des coûts, la centralisation des projets et l’optimisation à outrance.

La vague de licenciements – près de 300 employés – est d’autant plus choquante qu’elle touche des équipes qui ont contribué directement à ces succès. En France, la réponse est claire: grèves, colère, et mobilisation. Dans le reste du monde, c’est une lassitude sourde qui s’installe, nourrie par le sentiment que même la réussite n’offre plus de garantie.

La montée en puissance de l’IA générative n’est pas anodine non plus. Elle traduit une volonté de transformer le modèle de production, de rendre les équipes plus “flexibles”, mais aussi plus interchangeables. Ce glissement technologique, s’il peut séduire sur le papier, interroge sur la place de l’humain dans les futurs pipelines créatifs.

Virtuos n’est pas le premier studio à licencier massivement malgré ses réussites, et ne sera sans doute pas le dernier. Mais son cas, emblématique, rappelle que le succès ne suffit plus: dans une industrie en mutation, c’est la stratégie de long terme qui déterminera la survie — ou non — des talents derrière les jeux.

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Leader mondial du développement de jeux vidéo, offre des services de co-développement et de production artistique pour des titres AAA sur consoles PC et mobiles

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