
Les remous judiciaires entre les fondateurs du studio Unknown Worlds, à l’origine de la série Subnautica, et le géant sud-coréen Krafton prennent une tournure inattendue. Alors que le développement de Subnautica 2 suscite une attente fébrile chez les fans, les coulisses de sa production sont ternies par une lutte acharnée autour de questions financières et éthiques. Accusations de licenciement abusif, manipulation d’échéances de sortie, soupçons de vol de données: les ingrédients d’un véritable thriller juridique sont réunis. Pourtant, une première décision de justice a donné raison aux fondateurs, marquant un point dans un combat qui est loin d’être terminé.
Pourquoi Krafton aurait-il volontairement retardé un jeu si attendu ? Que reproche-t-on exactement à ses anciens collaborateurs ? Et surtout, qu’implique cette première victoire judiciaire dans une affaire où 250 millions de dollars sont en jeu ? L’heure est venue de plonger dans les abysses juridiques de Subnautica 2.
Le conflit entre les fondateurs d’Unknown Worlds et Krafton
L’accord d’earn‑out de 2021 et les attentes
L’origine du différend remonte à l’acquisition d’Unknown Worlds par Krafton en 2021. Comme souvent dans ce type d’accord, un mécanisme d’earn-out avait été mis en place. Il s’agit d’un système où les anciens dirigeants peuvent toucher un bonus en fonction des performances futures du studio ou du succès de projets à venir — ici, Subnautica 2.
Selon les fondateurs Max McGuire, Ted Gill et Charlie Cleveland, Krafton devait verser jusqu’à 250 millions de dollars si certains objectifs étaient atteints. Un montant colossal, potentiellement justifié par le succès du premier Subnautica, devenu un titre emblématique de la scène indépendante. Or, ce système de bonus est aussi un terrain glissant, car les objectifs sont souvent laissés à l’appréciation de l’acquéreur. Et dans ce cas précis, Krafton est accusé d’avoir sciemment retardé la sortie du jeu pour éviter de déclencher ces paiements.
« Nous pensons que Krafton a utilisé le contrôle du studio pour manipuler le calendrier de développement et nous écarter de la table », auraient soutenu les fondateurs dans des documents judiciaires.
Les accusations des fondateurs: retard volontaire et suppression du boni de 250 millions USD
Les trois hommes accusent ainsi Krafton d’avoir forcé un report de la sortie de Subnautica 2, tout en les poussant progressivement hors du studio. Cela, selon eux, dans le but de ne pas honorer la clause d’earn-out et conserver l’intégralité des bénéfices.
Cette situation a exacerbé les tensions internes. En supprimant les fondateurs de l’équation, Krafton aurait facilité un contrôle total du projet, permettant d’échapper à ses engagements financiers. Et pendant que le jeu patine en développement, les anciens dirigeants voient leur prime s’éloigner à grands pas.
Mais la riposte ne s’est pas fait attendre: les fondateurs ont choisi de porter l’affaire en justice, lançant une bataille juridique qui révèle les dessous parfois toxiques de certaines acquisitions dans l’industrie du jeu vidéo.
Les défenses de Krafton — version initiale vs version modifiée
Accusation d’abandon de poste et de focalisation sur des projets personnels
Pour sa défense, Krafton a d’abord présenté une version des faits visant à décrédibiliser les trois fondateurs. L’éditeur sud-coréen les accuse d’avoir abandonné leurs fonctions alors qu’ils occupaient encore des postes-clés dans le développement de Subnautica 2. Selon Krafton, les fondateurs auraient cessé de collaborer activement, voire se seraient tournés vers des projets personnels externes, négligeant leur rôle au sein du studio.
Ce type de défense est courant dans les cas d’earn-out, l’acheteur tentant de prouver que les vendeurs n’ont pas rempli leurs obligations contractuelles. Si cela est avéré, le non-versement du bonus devient justifiable. Néanmoins, dans cette affaire, les éléments présentés par Krafton manquent de cohérence et ont évolué au fil des audiences.
L’accusation de copie / téléchargement de fichiers confidentiels
Dans un second temps, Krafton a radicalement modifié sa ligne de défense. L’entreprise a affirmé que les fondateurs avaient procédé à un téléchargement massif de fichiers confidentiels avant leur départ du studio. Ces documents comprendraient des données internes, des ressources de développement, voire des informations sensibles liées à la stratégie de l’entreprise.
Poussant plus loin, Krafton a même demandé au tribunal l’autorisation d’une analyse forensique complète — une procédure technique habituellement réservée aux enquêtes de cybercriminalité — afin d'examiner les systèmes informatiques personnels des fondateurs. L’éditeur voulait également obtenir une ordonnance de conservation de documents, impliquant la sauvegarde de toutes les données échangées ou téléchargées autour de la période litigieuse.
Ces accusations graves, dignes d’un véritable feuilleton industriel, ont cependant été fragilisées par un manque de preuves concrètes, comme nous allons le voir dans la décision du tribunal.
La première victoire judiciaire pour les fondateurs
Rejet des demandes de Krafton — inspection forensique & conservation des documents
Dans un jugement récent, le tribunal américain chargé de l’affaire a rejeté les requêtes de Krafton, estimant qu’elles n’étaient ni fondées ni cohérentes. L’entreprise réclamait deux mesures d’urgence:
- Une analyse forensique des équipements informatiques des fondateurs.
- Une ordonnance de conservation de documents liés au développement et aux communications internes.
Ces demandes ont été jugées excessives et mal justifiées. Selon la décision du juge, Krafton a notamment modifié sa version des faits en cours de procédure, un comportement qui a pesé lourd dans l’évaluation de sa crédibilité.
« Krafton a changé sa version des faits au milieu du litige sur les raisons pour lesquelles il a licencié les fondateurs et pris le contrôle d'Unknown Worlds », peut-on lire dans la décision officielle.
Ce que le tribunal a retenu: changement de version des motifs de licenciement
Initialement, Krafton affirmait avoir licencié les fondateurs pour avoir envisagé une sortie anticipée de Subnautica 2 — ce qui, rappelons-le, aurait pu activer le paiement de l’earn-out. Puis, face à la pression juridique, l’éditeur a pivoté vers une autre justification: les téléchargements de fichiers confidentiels.
Ce revirement stratégique n’a pas convaincu le juge. Au contraire, il a renforcé la thèse des fondateurs selon laquelle leur éviction avait été orchestrée pour des raisons financières, et non éthiques. D’autant que les fichiers en question ont été téléchargés après leur licenciement, ce qui invalide la seconde justification avancée par Krafton.
Les fondateurs ont également soutenu que ces fichiers étaient déjà accessibles à tous les employés d’Unknown Worlds et ne contenaient pas de données ultra-sensibles. Le tribunal a semblé donner crédit à cette version.
Conclusion ? La justice a tranché en faveur des fondateurs — du moins pour cette première manche. Un coup dur pour Krafton, qui espérait disqualifier leurs revendications dès l’entrée de jeu.
Ce que cela pourrait signifier pour la suite du litige
Enjeux financiers et réputationnels
Avec 250 millions de dollars potentiellement en jeu, cette affaire dépasse le simple cadre d’un conflit de travail. Elle pose des questions fondamentales sur les relations entre éditeurs et studios indépendants, particulièrement lorsque des clauses financières complexes, comme les earn-out, entrent en jeu.
Pour Krafton, l’enjeu est double: éviter un versement colossal et préserver son image auprès d’autres studios qu’elle pourrait acquérir à l’avenir. Une condamnation pourrait envoyer un message négatif: celui d’un éditeur prêt à manipuler le développement d’un jeu pour éviter ses engagements contractuels.
Pour les fondateurs d’Unknown Worlds, la bataille est autant symbolique que financière. Il s’agit de défendre leur intégrité, leur contribution à Subnautica 2, mais aussi d’éviter que leur réputation soit ternie par des accusations de vol de données.
Possibles prochaines étapes juridiques et médiatiques
Le tribunal a exigé que les deux parties entrent maintenant dans une phase de concertation, probablement sous forme de médiation. Si un accord n’est pas trouvé, le conflit pourrait s’intensifier, avec de nouvelles procédures judiciaires, voire un procès complet.
Krafton pourrait aussi tenter de limiter les dégâts en négociant un règlement confidentiel, une pratique courante dans ce type d’affaire. Reste que l’attention médiatique, désormais bien installée, complique cette stratégie: les projecteurs sont braqués, et chaque mouvement sera scruté.
De plus, ce litige pourrait retarder encore davantage la sortie de Subnautica 2, impactant non seulement les équipes restantes mais aussi la communauté de joueurs, qui attend avec impatience de nouvelles informations concrètes sur le jeu.
« Ce n’est pas seulement une affaire d’argent. C’est une affaire de contrôle, de respect du travail accompli, et de promesses tenues », déclarait une source proche du dossier.
En quelques mots
Le bras de fer juridique entre Krafton et les fondateurs d’Unknown Worlds révèle les tensions croissantes dans une industrie du jeu vidéo où les enjeux financiers rivalisent avec la créativité. Si cette première victoire judiciaire est une bouffée d’air pour McGuire, Gill et Cleveland, elle ne signe pas la fin de la bataille — seulement le début d’une confrontation dont les répercussions pourraient s’étendre bien au-delà de Subnautica 2.
L’affaire met en lumière les limites des clauses d’earn-out, souvent sujettes à interprétation, et les dérives possibles lors d’une acquisition. Elle soulève aussi une question cruciale: jusqu’où un éditeur peut-il aller pour protéger ses intérêts financiers sans compromettre l’éthique et le respect du travail de ses équipes ?
Alors que les fans attendent toujours une date concrète pour Subnautica 2, ce litige pourrait redéfinir non seulement l’avenir du jeu, mais aussi les rapports de force entre créateurs et éditeurs dans le monde du développement indépendant.
 
                                 
                                 
                                